Sol Solis 15 Dhanus - Première période
Ce sol Solis matin, Nevsie assiste à la méditation. Aujourd'hui non plus, elle ne parvient pas à atteindre la sérénité de l'oeuf. Ces deux derniers jours, elle a fait le tour de tous les employeurs. Personne n'a besoin d'un grosses-écailles inculte et blessé. Certains lui ont dit de repasser à la fin de son arrêt maladie, pour voir si un poste se libère d'ici là. Mais la plupart lui ont juste dit qu'ils ne recrutent pas en ce moment, ou que pour les postes d'adultes, ils ne prennent que des diplômés.
Nevsie n'a pas été à l'école suffisamment longtemps pour obtenir un diplôme. Elle aimait les études, pourtant. Elle adorait écouter le maître parler de la vie sur le reste de la planète. Elle aimait regarder la carte de Mars et imaginer les grandes plaines bleuyoyantes de l'hémisphère sud, ces régions paradisiaques où l'orgeazur pousse dans les champs si bien qu'à la saison des récoltes, il n'y a qu'à se baisser pour le ramasser. Là-bas, les gens ne s'éreintent pas dans les mines pour récupérer des foutus cailloux qui ne se mangent même pas ! Ils récoltent leur propre nourriture, et vendent les surplus aux caravanes... Ils n'ont jamais faim, et ils dorment dans d'étranges dortoirs individuels. Quand Nevsie allait à l'école, elle imaginait ces endroits lointains pendant ses journées de travail, et le temps lui paraissait moins long dans la mine.
Il y avait aussi des leçons de calcul. C'est très utile, le calcul. Quand Nevsie pouvait aller à l'école tous les jours, elle aimait bien ça. Mais quand elle a commencé à n'aller à l'école que quelques jours par-ci par-là, elle n'arrivait plus du tout à faire les exercices. Ne pas aller à l'école tous les jours, ça rend bête. Des choses qui paraissaient très simples aux autres lui paraissaient insurmontables à elle.
Et puis petit-à-petit, Nevsie n'est plus retourné à l'école. Pourquoi ? Parce qu'elle se sentait bête ? Parce qu'elle se retrouvait de plus en plus souvent à étudier avec des élèves beaucoup plus petits qu'elle ? Elle avait honte de se retrouver parmi les plus petits. Ces bambins, en majorité des fines-écailles, mignons et intelligents, tellement jeunes et qui comprenaient tout du premier coup... Elle avait l'impression de les gêner, de les empêcher de progresser, avec ses questions idiotes. Et puis, elle était tellement fatigué, le soir, en rentrant de la mine... L'école semble tellement peu intéressante, quand on a passé deux périodes à creuser des tunnels ! Des fois, elle s'endormait pendant les cours, et le maître le mettait dehors. À chaque fois, elle s'en voulait de s'être endormi, elle avait honte de s'être fait grondé et exclure du cours... et elle était content de pouvoir aller se coucher plus tôt.
Pourquoi n'irait-elle pas à l'école aujourd'hui ? Elle n'a rien de mieux à faire, puisqu'elle a déjà vu tous les employeurs du complexe. Elle pourrait passer toute la journée à dormir, à traîner dehors, à regarder si des acteurs jouent sur la Grand Place et à jouer avec les autres désoeuvrés du complexe minier.
Aller à l'école... pourquoi faire ? Elle n'obtiendra pas de diplôme en 3 semaines, et elle ne connaîtra pas beaucoup plus de choses non plus. Pas assez pour impressionner un employeur et trouver du travail grâce à ça. Non, il vaudrait mieux faire un travail personnel. Faire un moulage de terre, par exemple, pour montrer ses talents de travailleur, son sérieux... En plus, elle pourrait vendre son travail et gagner un peu d'argent. Mais Nevsie n'aime pas faire des moulages de terre. Et elle a déjà de quoi dormir et manger pour trois semaines, ça ne vaut pas le coup de se fatiguer à faire des petits bricolages ridicules pour gagner des bouts de chandelle. Non, ce qu'elle veut, elle, c'est comprendre le monde.
La cloche de méditation sonne son coup final, et tous de dispersent. Nevsie part pour l'école. Elle va pouvoir y aller toute la journée, pendant plusieurs jours d'affilé. Et même si elle est stupide et pas à sa place, elle pourra toujours apprendre quelques trucs, écouter des histoires et regarder la carte de Mars en imaginant ce que serait la vie ailleurs.